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Photo du rédacteurPhilippe RB

Sentiment d’injustice dans la séparation conjugale : tribunal ou médiation ?




« Ce n’est pas juste ! ». Cette phrase est devenue une sorte de refrain pour Fabienne, venue en médiation familiale après le départ de son compagnon Alain. 

L’absence de mariage, elle le sait, ne lui permet pas d’espérer une prestation compensatoire, « pourtant, dit-elle, 25 ans de vie commune et deux enfants, ça vaut bien un mariage ». Elle raconte leur décision commune d’établir des rôles complémentaires : « lui assurait, avec sa carrière, les ressources du foyer ; moi j’apportais la touche artistique, indispensable pour l’équilibre des enfants, mais très peu rémunératrice ».

« J’ai fait le calcul de ce que je toucherai à la retraite. C’est vraiment injuste. Si j’avais su que cela finirait comme ça, j’aurais fait un vrai métier. »

D’autres aspects contribuent à ce sentiment d’injustice qui la submerge souvent. « Il ne lui a fallu que 2 semaines pour se mettre en couple avec Caroline, cela prouve bien qu’il y avait déjà quelque chose entre eux avant la séparation ». « En plus, ajoute-t-elle, à mon âge, avec 2 enfants, je ne suis pas près de retrouver un prince charmant ! »

Même la garde des enfants, alors qu’elle a obtenu la garde principale qu’elle voulait, constitue une source d’injustice perçue : « A lui les bons moments du week-end, MacDo et ciné, alors que moi j’ai le rôle de la méchante pour faire appliquer les règles : horaires, devoirs, etc. »


Ce sentiment d’injustice se nourrit de faits réels. Il semble donc légitime de « réclamer justice ». Et c’est bien l’institution judiciaire qui est mandatée pour « rendre justice ». 

Pourtant, parmi ces éléments que Fabienne décrit pour expliquer son immense sentiment d’injustice, une majorité ne seront pas évoqués au cours des auditions de la procédure judiciaire. La médiation familiale est-elle alors la solution ?

Lequel des deux espaces, judiciaire ou de médiation, sera en mesure de répondre à cette blessure liée au sentiment d’injustice, d’autant plus douloureuse qu’elle paraît causée par un proche ?


A la différence de l’injustice, qui se réfère à la norme juridique, le sentiment d’injustice renvoie à l’appréciation personnelle de ce qui est « juste », fondée pour partie sur le droit, mais aussi sur des représentations et des valeurs personnelles, partagées ou non, souvent implicites et/ou inconscientes.


Ainsi, la mise en couple s’accompagne souvent d’une sorte de « contrat relationnel » implicite fondé sur des valeurs telles que l’amour, l’égalité, la fidélité, le respect, la reconnaissance, la non-violence. L’arrivée des enfants est l’occasion de compléter ce contrat  par des attentes qui concernent notamment l’éducation ou les rôles parentaux.


Tous ces critères qui fondent l’appréciation du « juste » dans le cadre familial sont autant de risques de ressentir une « injustice » causée par « l’autre », qui n’aurait pas respecté ce qui était attendu.


Or, le droit de la famille considère aujourd’hui le mariage comme un contrat privé, dont les engagements ne regardent plus la société. Marc Juston, magistrat très impliqué dans le droit de la famille, constate que : « selon l’esprit du législateur, la notion de faute doit être […] circonscrite et limitée aux actes d’une extrême gravité ». 

Concernant les séparations, les JAF (juges aux affaires familiales) fondent ainsi leurs jugements sur « trois valeurs fondamentales […] la stabilité, le dépassement de la crise conjugale, la stigmatisation du conflit » (I. Thery), ce qui exclut donc l’évaluation de l’équilibre et de l’exécution du « contrat relationnel » de la vie privée conjugale.


Pour autant, le cadre judiciaire reste incontournable pour la gestion des conflits conjugaux ou familiaux, même dans les cas où aucune procédure n’est effectivement mise en œuvre. La seule existence d’un recours possible apporte un sentiment de sécurité aux personnes fragilisées et se sentant vulnérables par rapport à « l’autre ». 


De son côté, le processus de médiation pourra permettre de faire émerger, à partir des injustices ressenties, des valeurs et représentations différentes entre les personnes, et donc une acceptation de l’altérité que le conflit pouvait avoir empêchée. Cette acceptation n’est bien entendu pas une réparation, mais elle ouvre un chemin, d’une part à une reconnaissance de la subjectivité du sentiment d’injustice, et d’autre part à une recherche commune de solutions prenant en compte les besoins des « 2 mondes ». 

 

L’espace de médiation et l’espace judiciaire sont en réalité complémentaires et se renforcent mutuellement. Ils ne répondent pas aux mêmes besoins, ni n’agissent sur le même plan. Tandis que l’espace judiciaire est social et vise à garantir les libertés individuelles selon des normes communes, l’espace de médiation aspire à redonner aux personnes la capacité à changer de perspective pour construire des modalités relationnelles plus ajustées prenant en compte leur histoire singulière. Le premier est socialement incontournable, l’autre est une opportunité pour devenir acteur plutôt que spectateur impuissant du premier.


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